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L’infolettre n° 44 – octobre 2025

Métiers de l’écrit et intelligence artificielle générative : face à face ou main dans la main ?

Par Sonia Corvi

L’intelligence artificielle est autant idéalisée que crainte, notamment vis-à-vis des métiers liés à l’écrit et à l’image. Écrivain public, correcteur, traducteur, illustrateur, photographe, vidéaste : tous voués à disparaître, à se transformer, à s’adapter ou à renaître ? Voici, très modestement, quelques éléments de réponse à ce débat actuel et sans fin.

Bref historique de l’intelligence artificielle

Quand on parle aujourd’hui d’intelligence artificielle, tout le monde pense spontanément à ChatGPT, Mistral ou à d’autres outils capables de générer du texte ou une image : ce sont les IA génératives. Pourtant, l’IA ne se résume certainement pas à ces modèles conversationnels.

Historiquement, les premières formes d’intelligence artificielle remontent aux années 1950, lorsque les chercheurs ont commencé à concevoir des programmes informatiques capables d’imiter certaines fonctions humaines : résoudre un problème logique, reconnaître un motif, apprendre à partir d’exemples. Après un long passage à vide, les réseaux de neurones artificiels ont apporté dans les années 1980 une nouvelle approche : non plus programmer des règles, mais faire « apprendre » au système à partir de données. Ces modèles ont évolué peu à peu, permettant notamment la reconnaissance d’images ou vocale, ou encore les recommandations automatiques. Puis l’apprentissage profond, toujours basé sur les réseaux de neurones, dans les années 2010, a considérablement accéléré les capacités de traitement de l’IA.

L’IA reste donc avant tout une discipline employée depuis longtemps dans de nombreux domaines, et qui continue toujours à y travailler « en silence » : science, santé, économie, finance et logistique n’en sont que des exemples. Et ce n’est qu’avec l’essor des IA génératives, capables de produire du texte, de l’image ou du code, que le grand public a pris conscience de sa puissance.

Principe de fonctionnement de l’IA générative

Le fonctionnement des IA génératives repose sur l’apprentissage à partir d’une base de données. Pour la génération de textes, par exemple, cette base de données est constituée d’un immense corpus d’écrits « humains » divers à partir desquels l’IA apprend des schémas, qu’elle utilise ensuite pour concevoir son propre texte. Ces schémas s’appuient sur des probabilités : après tel mot, tel autre mot suit le plus souvent (pour volontairement simplifier à l’extrême). Ainsi, démystifions quelque peu l’IA générative : elle n’a rien d’intelligent, seulement une puissance de calcul faramineuse qui lui permet d’imiter ce qu’elle a appris d’un point de vue probabiliste.

Par ailleurs, du fait de son fonctionnement même, l’IA générative ne s’autoalimente pas. Et ce point est l’un des plus importants pour son avenir. Théoriquement, si, elle pourrait s’autoalimenter. Il suffirait d’intégrer ses propres productions à la base de données d’apprentissage. Mais qu’apprend-elle alors ? Pas grand-chose. Et on voit vite que si ce processus perdure, les textes générés ne feront que s’appauvrir à chaque itération. Sur le long terme, l’intelligence artificielle ne peut évoluer seule, elle reste dépendante de ce que nous produisons et inventons. C’est tout le paradoxe de la situation actuelle : pour rester pertinente, l’IA a besoin de nos textes, des nouveaux, mais elle nous incite à ne pas en créer.

Les métiers de l’écrit : en danger ou promis à un avenir radieux ?

On ne peut nier aujourd’hui que la plupart des intelligences artificielles génératives peuvent produire en quelques secondes des textes simples tout à fait clairs et structurés, et parfois même agréables à lire. Elles sont plutôt douées également pour corriger ou traduire. On ne peut donc pas nier non plus que l’appel à un écrivain public, rédacteur, correcteur ou traducteur pour de tels écrits devient moins nécessaire.

Cependant, il y a plein de « cependant ». Premier constat évident : il faut savoir maîtriser ces outils et notamment rédiger des prompts judicieux pour obtenir un résultat correct. Deuxième constat : on pense gagner du temps, mais l’IA hallucine et raconte beaucoup de bêtises, alors tout vérifier fait largement perdre le temps gagné.

L’un des principaux écueils de l’IA générative, à la fois sur le court et le long terme, reste le style et l’intelligence des textes produits. Avec elle, les textes se ressemblent, les formulations s’aplanissent, les styles s’effacent, entraînant un appauvrissement progressif des écrits et une perte de diversité dans la manière d’exprimer la pensée. Mal utilisée, maintenant ou plus tard, l’IA pourrait ainsi menacer la valeur du temps, de la réflexion, du style et de la nuance.

En réalité, nous ne sommes pas prêts à une écriture correcte mais sans saveur. Pas plus que nous ne sommes prêts à déléguer à une machine le plaisir de faire soi-même. Il ne faut pas négliger le besoin de l’humain à faire par lui-même, écrire, penser, comprendre, inventer, décider, contrôler.

Il est donc vraisemblable que l’utilisation grand public de l’IA suive plusieurs phases. Une première phase – celle que nous vivons actuellement – faite de magie, d’enthousiasme et d’expérimentations, où l’on pense que l’IA peut tout faire, et tout faire valablement. Puis une deuxième de remise en question et de prise de conscience : l’IA nous prive progressivement de qualité, de créativité et de singularité. Et enfin une troisième phase de reprise de contrôle et surtout de plaisir, où l’IA sera enfin reléguée au rang de simple outil. Combien de temps durera chacune de ces phases ? Telle est la question.

À terme – et le court terme est souhaitable –, l’IA générative peut devenir pour tout un chacun une aide, mais elle ne remplacera pas celles et ceux qui créent, rédigent, corrigent, traduisent, dessinent, filment. Parce que, comme nous l’avons vu, elle n’est techniquement pas autonome, et parce qu’elle n’est pas capable de faire preuve humainement d’interprétation et d’éthique comme le font au quotidien ces tout un chacun et ces professionnels de l’écrit et de l’image.

N’en déplaise à certains, il y aura donc toujours besoin d’écrire soi-même ou de faire appel à un écrivain public. En attendant, il nous incombe à nous, professionnels, de savoir nous adapter et de nous redéfinir face à cette IA, mais il s’agit également, pour tous, de la comprendre, afin de ni l’idéaliser ni la craindre.

Saviez-vous que l’écrivain public a eu sa série web ?

Par Muriel Rouch

Tout commence par un roman intitulé L’Écrivain public. L’auteur, Michel Duchesne, s’inspire de son propre vécu pour créer le personnage de Mathieu, un jeune père sans le sou qui décroche un emploi d’écrivain public au Centre communautaire central de Montréal. Sa mission : aider les gens à rédiger des lettres, remplir des formulaires, comprendre des documents…

De ce roman est née une série web éponyme (trois saisons), coécrite par Michel Duchesne et diffusée entre octobre 2015 et 2020. Récompensée au Québec et à l’international, la série met en scène un Montréal contemporain, où la précarité, invisible au premier regard, se révèle dans les démarches administratives et les ruptures sociales silencieuses.

Dès les premiers épisodes, Mathieu croise des clients marquants : un jeune qui écrit « au son », une mère monoparentale débordée, un ouvrier immigrant exploité qui cherche justice. Ces brèves rencontres brossent un portrait sensible de vies reléguées à l’ombre.

Au début, Mathieu apparaît égocentrique, parfois maladroit. Mais au fil de la première saison, il évolue au contact de ses clients, devient plus humble, plus à l’écoute. Il découvre également que l’écriture peut être un outil de dignité, de résistance, de réparation, et se sent utile. Toutefois, son implication affective le fragilise. Il s’attache trop, peine à faire la part des choses, et se heurte à ses propres limites émotionnelles.

Cette série, portée par Emmanuel Schwartz (Mathieu), est traversée par beaucoup de drames, mais aussi beaucoup d’humour et d’espoir. Les personnages secondaires — Pauline, Cindy, Conrad, Élias, Mina — sont authentiques, profondément humains. Ils se dévoilent avec leurs forces, leurs failles, leurs contradictions, ni parfaits ni caricaturaux.

La série ne se contente pas de raconter des histoires individuelles : elle expose aussi l’impact des politiques sociales, les pressions exercées sur les organismes communautaires, les menaces de fermeture dues aux baisses des subventions. Le centre où travaille Mathieu devient ainsi le théâtre d’une lutte pour préserver l’accès à l’aide, à l’écoute, à la parole, portée à bout de bras par les travailleurs sociaux qui ne cessent de jongler entre engagement et épuisement.

Aussi, en colère face à ce système, Mathieu finit par écrire un roman inspiré de son expérience (ça ne vous rappelle pas quelque chose ?). Ce geste, censé être libérateur, lui vaut des représailles (saison 3) : son employeur le congédie, preuve que même les mots peuvent déranger lorsqu’ils disent trop vrai. Voici un lien vers la bande annonce de cette saison 3 : https://www.babelfilms.com/portfolio-item/ecrivain-public-saison-iii/

En somme, L’Écrivain public est une œuvre vibrante, pleine de couleurs, de saveurs, remplie de courage face à l’adversité. Elle nous enseigne également que, derrière chaque formulaire, chaque lettre, chaque silence, il y a une histoire qui mérite d’être entendue. Et parfois, il suffit d’un écrivain public pour la faire exister.

👉 À noter : Malheureusement, la série L’Écrivain public n’est actuellement disponible ni en streaming ni en DVD. Elle était accessible sur YouTube il y a encore deux ans, mais a depuis été retirée. Elle ne figure pas non plus dans les catalogues d’Amazon, Archambault, TV5MONDE ou Molotov.tv. Seules restent les bandes annonces. Espérons qu’elle sera remise en ligne ou rééditée prochainement, car elle mérite d’être vue et partagée.

L’Écrivain public
Réalisation : Hervé Baillargeon, Éric Piccoli
Scénario : Éric Piccoli, Michel Duchesne
Distribution : Luc Senay, Emmanuel Schwartz, Ariane Castellanos, Sandrine Bisson

Parution du livre collectif des membres de Biographicus

Par Sonia Corvi

Les membres de l’association Biographicus ont planché de nombreux mois pour proposer un ouvrage collectif qui raconte tout à la fois leur quotidien de biographes et leurs méthodes de travail. Car l’écriture biographique traverse de nombreuses étapes : établir la confiance, stimuler la mémoire, trouver la juste distance, mener les entretiens, rédiger, bien sûr.

L’ouvrage offre des récits d’expériences vécues par ses autrices et auteurs, une boîte à outils, un glossaire et une analyse « pour aller plus loin », mêlant témoignages et questionnements. Y sont évoqués par exemple des sujets tels que la rencontre avec le narrateur, les problématiques juridiques rencontrées, la rédaction et la validation ou encore les autres formes de biographies possibles. S’adressant à tous les publics, biographes ou non, il a pour vocation à faire découvrir le métier et ses différentes facettes et à guider le lecteur dans la pratique de la biographie.

La biographie racontée par les biographes, Expériences et guide pratique
Par l’association Biographicus
Éditions Chronique Sociale, collection Savoir communiquer
ISBN 978-2-38548-067-7 – Prix de vente : 14,90 €
Sortie le 16 octobre 2025

Les petites annonces de la profession

Actualités du SNPCE

Le dernier conseil syndical du SNPCE s’est déroulé à Paris le samedi 11 octobre 2025, suivi d’un atelier animé par Christelle Desbordes et portant sur la communication et la stratégie d’entreprise.

Les dates des prochains conseils syndicaux et congrès du SNPCE pour l’année 2026 sont les suivantes : 17 janvier 2026 (CS), 13 juin 2026 (congrès) et 10 octobre 2026 (CS).

Actualités de l’AEPF

Comme chaque année, l’AEPF propose de nombreuses formations, ouvertes à tout public.
Le catalogue 2026 vient de paraître : catalogue des formations AEPF 2026 (à retrouver en bas de page).

Infolettre du SNPCE

Vous aimeriez que le comité de rédaction traite un sujet en particulier ? Faites-nous part de vos envies, de vos idées. Nous les attendons avec impatience !

Si vous souhaitez intégrer le comité de rédaction de cette infolettre, n’hésitez pas à nous manifester votre intérêt. Le comité de rédaction s’adapte en fonction des contraintes de chacun(e) pour rédiger l’article de fond et les deux brèves de chaque infolettre.

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